« C’est l’intention qui compte », dit-on communément. Cela paraît tout simple et facile à comprendre : de la motivation ou de son résultat, seule la première importe. Si l’effet recherché n’est pas réalisé, si le but espéré n’a pas été atteint, cela n’est pas gênant, nous ne sommes redevables que de nos intentions.
Il est vrai qu’un même acte peut vouloir dire une chose… et aussi son contraire, qu’une mauvaise intention peut se dissimuler sous une fausse bienveillance et qu’une bonne intention peut être dévoyée au gré des circonstances et indépendamment de notre volonté. Il semble juste alors de juger une action non sur sa conclusion mais sur l’inspiration qui en fut l’origine.
Prenons garde pourtant que la prépondérance donnée à l’intention ne devienne l’occasion d’agir sans nous soucier de ce qui est reçu, de ce que nous donnons. Ne nous déchargeons pas des suites de nos actes car l’intention qui compte est celle qui rendra compte de son souci premier de répondre de l’Autre, même si les circonstances ne lui ont pas permis d’arriver à son terme.
Une frontière invisible brise le monde clos du Soi, l’empêchant de connaître autre chose que l’entente de deux complémentaires vivant en harmonie, ou la lutte fratricide d’opposés qui s’affrontent sans pouvoir s’accorder. Quelle soit ligne de front ou ligne de partage, cette faille s’impose au point qu’il devient impossible d’être tout simplement, et qu’il faut désormais avoir, pour exister, un reflet inversé, ennemi ou complice.
La frontière invisible qui coupe le monde du Soi sépare la froide raison et les passions furieuses. Ces deux protagonistes ne vivent que pour se battre, au point d’en oublier que leur opposition les relie l’un à l’autre en une totalité qui allie les contraires ; au point d’en oublier que leur combat sans fin ne pourrait exister sans leur séparation.
Cette séparation n’est autre que le tiers que le Soi doit exclure pour se retrouver seul face à sa propre image. Ainsi se dissimule sous le trait qui unit autant qu’il désunit, celle qui tire les ficelles et nous met en mouvement.
Se saisir d’un objet afin de le faire sien, c’est le geste du Soi qui sait que pour survivre il faut bien se nourrir. Quoi de plus naturel pour le corps et l’esprit que de s’alimenter, regarder et choisir, digérer et comprendre ? L’être vit de l’avoir et c’est bien légitime.
La situation se gâte lorsque se substitue à l’objet du vouloir, le sujet du désir. Quand le Soi s’imagine pouvoir s’approprier toute forme d’altérité, la volonté s’oriente vers l’objet interdit parce que non accessible, en un geste qui meurt sans atteindre son but. La fermeture sur soi repose sur ce désordre qui crée la confusion entre ce dont le Soi peut prendre possession et ce qui par nature lui échappera toujours.
Mais s’approprier l’Autre, c’est paradoxalement refuser d’être Soi. D’être Soi autrement qu’en cherchant à gommer la vraie séparation qui fait le Soi et l’Autre, autrement qu’en voulant voir en l’Autre que Soi un reflet de soi-même. Le triomphe du miroir est le renversement des intentions du Soi qui, en devenant autres, deviennent assez bonnes pour paver le chemin qui conduit à l’enfer.